Exposition : la BD ne craint plus la Shoah

La shoah un sujet de bande dessinée ? Vous n’avez aucune altération de vos facultés de lecture. Ce qui est écrit ci-après est bien réel. Une exposition qui s’est ouverte le 19 janvier révèle que le 9e art a « rencontré » l’Holocauste en 1944 !

La Shoah est un thème qui n’effraie plus la bande dessinée. Les connaisseurs ne l’ont abordé qu’avec la série Maus : il s’agit d’un récit animalier sur les camps de la mort où les juifs sont dépeints en souris et les nazis en chats. Vous vous doutez bien de la réaction du public face à de telles représentations. Publiée entre 1972 et 1991 par le dessinateur américain Art Spiegelman cette BD fit évidemment scandale avant de se tailler un franc succès. Elle est désormais considérée comme l’une des œuvres populaires les plus importantes de l’histoire du 9e art. Les deux volumes de Maus furent autant une révélation pour la BD que La Liste de Schindler pour le cinéma ou la série Holocauste pour la télévision. Maus a dû convaincre les rescapés qu'il n'y avait rien d’insultant ou de blessant à aborder la Shoah par la BD et surtout à représenter les juifs en rongeurs. « C'est d’ailleurs ainsi que les nazis les déshumanisaient à dessein dans leur propagande antisémite. », mentionne Didier Pasamonik, journaliste, éditeur et conseiller scientifique de l’exposition du Mémorial.

La « mémoire visualisée » du génocide

Trente ans après la parution, en 1986, du premier tome de Maus en France, la polémique s’est-elle apaisée ? Probablement au constat de l’exposition que consacre le Mémorial de la Shoah, à ce que l'historien israélien Assaf Gamzou nomme la « mémoire visualisée » du génocide, juif mais aussi arménien et rwandais, dans la BD. Cette mémoire est essentielle de part les enjeux lourds d’atrocités et de souffrances qu’elle porte en elle. C’est une manière différente de rendre hommage aux victimes du génocide et à leur famille, tout en gardant la gravité historique. Car « comics » en anglais ne signifie pas « comique » mais BD. Le distinguo est bien sûr évident ici.

 

La Shoah en BD peut donc paraître plus que saugrenu à certains, mais il faut aller voir l’exposition « Shoah et bande dessinée », cet inventaire graphique riche de 200 œuvres originales qui se tient au mémorial de la Shoah à Paris du 19 janvier, au 30 octobre 2017 pour constater que Spiegelman n’était pas le seul à dessiner sur le sujet. En effet, d’autres ont marqué l’histoire de leur empreinte personnelle à l’époque où Tintin, Astérix ou Spiderman étaient au sommet de leur succès. Le surprenant La Bête est morte d’Edmond Calvo  et Victor Dancette eut les honneurs du public dès 1944. C’est la toute première BD du monde à avoir montré l’Holocauste – certes sans s’y attarder –, alors même que la guerre n’était pas achevée. Le trait très disneyien de l’œuvre fut si prononcé que Walt Disney en personne exigea des modifications… car le Hitler de Calvo ressemblait trop à son grand méchant loup de la jeunesse !

 

Oui, vous avez donc bien lu : les chat-nazis de Maus étaient déjà représentés en loups quatre décennies auparavant ! «Le recours à l’imagerie animalière ne s’explique pas seulement par le fait que la Bête  est morte s’adresse aux enfants. », précise Didier Pasamonik avant d’ajouter : « L’horreur nazie est tellement énorme qu’elle ne peut pas être montrée frontalement, il faut la réfracter pour la rendre représentable.» Si « la Bête est morte » ne s’attarde pas sur les camps, c’est qu’elle s’attache plutôt à conter la victoire des Alliés, et ce pour une bonne raison : « ce n’est pas parce que ses auteurs préfèrent le happy end, mais parce qu’à la Libération, on est dans l’idée de reconstruire l’Europe, pas de donner la parole aux victimes, rappelle Didier Pasamonik. Le silence sur les camps de concentration et des fours crématoires ne sera rompu que bien des décennies plus tard. De fait, les auteurs de BD ignorèrent très longtemps cette infamie. Quelques pionniers sortaient néanmoins des champs battus comme en 1955, intitulé «Master Race» de Bernie Krigstein et Al Feldstein, un magnifique récit de comic book, mais qui fut totalement méconnu du public à l’époque.

De la mémoire des comics à celle de Charlie

Vous lisez toujours bien : Charlie Hebdo, qui ne fait pas dans le meilleur goût, a traité le sujet à sa manière avec un dessin de Wolinski représentant Hitler « sympa ». Cette Une de Charlie Hebdo n° 416 datée du 2 novembre 1978, fait référence à l'affaire Darquier, ancien commissaire aux Questions juives, lequel se réfugiait dans le déni concernant le génocide dans un entretien à L'Express. En se moquant ainsi de la Shoah, Charlie à sans le vouloir créé l’aubaine chez les fascistes. Le dessin est repris sur des sites web et autres publications révisionnistes comme preuve que « Charlie Hebdo pouvait être intelligent ». « Écœurant » est un euphémisme, au constat de la réaction de ces extrémistes. Si pris sans explication, ce dessin peut choquer, comme plus récemment celui de Mahomet, il est l’un des représentants de notre « liberté d’expression » face négationnisme nauséabond dans lequel des activistes européens et les dirigeants islamistes se complaisent. Hélas, cette liberté d’expression peut parfois se retourner contre nous. Des évènements récents en sont les preuves.

Si mettre la Shoah en fiction n’est pas plus indécent que le dessin satirique d'une icône religieuse… si certaines publications lourdes de sens sont plus que douteuses, aborder des  sujets non consensuels permet et permettra toujours de faire évoluer la société. C'est une réponse à la folie humaine, c’est notre liberté fondamentale ! La rétrospective la Shoah et bande dessinée en est l’actuel témoin.

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