STÉPHANE · 30-08-2012
DERNIÈRE MODIFICATION · 10-09-2012
Lorsqu'on parle de l'artiste japonaise Yayoi Kusama, la folie n'est pas loin. Son excentricité fait d'elle une « ready-made » à la Marcel Duchamp. Son univers ultra coloré et psychédélique fait penser à celui d'une autre figure de l'art contemporain japonais, Takashi Murakami. Plongeon dans un monde féérique :
Née en 1929 à Matsumoto, préfecture de Nagano au Japon, Yayoi Kusama affirme elle-même devoir son parcours artistique à une simple expérience vécue dans son enfance : à l’âge de dix ans, elle a une vision hallucinatoire, le motif de pois d’une nappe est vu comme se répétant de manière infinie dans la pièce. Son univers sera dorénavant, et jusqu’à aujourd’hui, peuplé de ce motif de manière obsessionnelle. L’artiste qualifie elle-même son travail comme étant obsessif, fondé sur la répétition et la multiplication des signes. En 1960, elle lance son Manifeste de l’Oblitération, dans lequel elle annonce « Ma vie est un pois perdu parmi des millions d’autres pois… ». Yayoi Kusama a une pratique artistique multidisciplinaire : peinture, photo, film, installation. Des myriades de pois colorés, des miroirs ou des formes phalliques se répètent et se répondent indéfiniment. L’artiste intervient parfois elle-même comme élément à part entière de ses installations. Yayoi Kusama a également abordé les domaines de la mode, du cinéma et de la littérature.
L'exil aux États-Unis
1957, Yayoi Kusama a le projet de partir aux États-Unis. En 1958, elle s’installe à New York où elle fréquente des artistes tels que Donald Judd ou Franck Stella. Rapidement assimilée à l’avant-garde new-yorkaise, elle produit une œuvre préalable au pop art et à l’art environnemental. Ce travail plonge le public dans une frénésie visuelle kaléidoscopique, ce qui lui permet de vivre des expériences uniques. Les grandes installations utilisant une pièce entière du sol au plafond, selon la technique du "all-over", sont stupéfiantes de par leur intensité ; il s’agit véritablement d’une expérience psychédélique. On pourrait presque dire que Yayoi Kusama fait une utilisation de son art à des fins thérapeutiques, comme pour dompter ses obsessions. Cependant, il faut prendre garde à ne pas tomber dans une interprétation trop psychanalytique ou hypnotique : la répétition des formes n’altère aucunement la perception du monde de l’artiste ; elle la renforce. À charge du spectateur de ne pas seulement voir dans ces motifs répétitifs, cette accumulation de formes proliférant dans l’espace, une démonstration d’un trouble psychotique de l’artiste.
Retour à la maison
Ayant passé quelques décennies aux États-Unis, Yayoi Kusama retourne au Japon en 1973. Suite à l’exposition de sa peinture abstraite et de ses sculptures recouvrant des objets quotidiens de protubérances molles et phalliques, et la mise en place d’actions de rue (dans un contexte de profonde remise en cause politique et sociale) – happenings et performances dénudés – dans les lieux symboliques de la ville tout autant que des orgies débridées dans son propre atelier, l’artiste malade décide en 1977 de s’installer dans un hôpital psychiatrique privé à Tokyo, qu’elle n’a plus quitté depuis. Elle s’organise, après la période frénétique des années new-yorkaises, une nouvelle vie de travail et d’écriture, protégée d’elle-même et de la société. La reconnaissance venue de la scène artistique dès les années 80 puis la consécration internationale des années 90 lui confère désormais une place de tout premier plan dans l’histoire des avant-gardes mais aussi dans l’actualité.
Vuitton versus Kusama
Provocatrice et, par ailleurs, femme d'affaires, Yayoi Kusama vient de s'associer à Louis Vuitton, un autre spécialiste des motifs répétitifs. Elle a créé spécialement pour la firme mallière
des chemisiers, jupes, trenchs, escarpins, montres, bijoux et accessoires, sans oublier les sacs affublés de ces fameux pois obsédants dont elle a fait sa
signature. Tour à tour noirs sur fond jaune, blancs sur fond rouge ou encore framboise sur fond noir, ces ronds de tailles différentes sont les témoins d'une collaboration
dont le résultat est subtil et raffiné.
À 83 ans, Yayoi Kusama n'a rien perdu de sa fougue excentrique, pour notre plus grand bonheur visuel. L'univers acidulé de la
plasticienne laisse perceptible une obsession de la mort. Le « refus de grandir » de l'artiste est la preuve, non pas d'une immaturité, mais de son génie artistique.
Stéphane Pichet
Son site officiel (en anglais) : http://www.yayoi-kusama.jp
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